Plantation :des concepts et techniques à affiner
Les projets de forêts urbaines se développent vite, peut-être trop, avec des méthodes encore peu éprouvées. Les défauts de jeunesse ne sont pas exlus, difficiles à mesurer en l’absence de chiffres, mais la place incontournable du végétal en ville est avérée.
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Qu’on prenne le terme de « forêt urbaine » dans une acception restrictive – soit un peuplement d’arbres plus ou moins dense dans une ville ou à sa périphérie – ou dans le sens défini par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), en y intégrant l’ensemble des arbres présents, nul doute que rares sont aujourd’hui ceux qui remettraient en cause l’intérêt de ce concept.
C’est apparu très clairement dans les projets des candidats aux mairies lors des dernières élections municipales, en 2020 : les promesses de plantations massives ont été légion. Et cela s’est d’ailleurs souvent concrétisé un peu partout dans l’Hexagone (voir l’encadré page 33), les forêts urbaines en cours d’étude, voire de plantation, sont innombrables. Mais le constat vaut aussi dans le monde professionnel.
Chacun s’accorde peu ou prou sur le fait que l’arbre en particulier, et le végétal en général, est primordial pour l’habitabilité de la ville de demain, pour stocker du CO2, dépolluer, rafraîchir, embellir…
Passé l’unanimité du « planter plus » et du « planter partout », le « comment planter » fait par contre débat, pour des considérations tant techniques qu’économiques.
Une question de densité urbaine et de surface
Même si, finalement, planter un alignement dans une rue revient à installer une forêt urbaine, au sens de la définition de la FAO, les conversations sur le sujet se recentrent vite sur les plantations de miniforêts, parfois baptisées en anglais tiny forests, très médiatisées actuellement. Un concept japonais, en particulier, qui se répand comme une traînée de poudre en France, la « forêt Miyawaki » (lire l’encadré), interroge les spécialistes de la forêt. La méthode, ainsi que d’autres qui en sont souvent dérivées, largement vendues aux collectivités par des associations ou autres structures bien organisées, préconise des plantations extrêmement denses, parfois jusqu’à cinq arbres par mètre carré, rendant aléatoire la survie de la totalité du projet en renchérissant son coût. Pour Sylvain Delzon, chercheur à l’Inrae-Université de Bordeaux, qui travaille sur les forêts urbaines de la préfecture de Gironde, « il y a maintenant un effet de mode sur les microforêts vendues clés en main à des prix élevés aux élus des villes, sans réellement connaître leur impact sur le climat, qui sera d’autant plus minime que leur surface sera faible. Des bosquets de 150 m2 ne peuvent pas avoir d’impact significatif sur la température du voisinage, c’est trop petit, ou alors il en faudrait un à tous les carrefours ! »
Se pose alors la question de la surface minimale d’une forêt urbaine pour qu’elle soit efficace. « Il faut attendre les résultats de nos travaux pour avoir des réponses », élude Sylvain Delzon.
David Chevet, chef de produit national Arbre conseil à l’ONF (Office national des forêts), qui vend des prestations aux municipalités par le biais d’un réseau d’experts, précise : « Les forêts urbaines que nous cherchons à mettre en place font appel à la constitution de toutes les strates végétales – arbres, arbustes et végétation herbacée –, ainsi qu’à un travail sur les lisières. Dans les grandes villes, ça peut être difficile à réaliser dans des zones très restreintes. Pour nous, la surface minimale pour installer une forêt urbaine doit être au moins de 500 m². »
Des forêts pour rafraîchir... si elles sont accessibles !
Autre interrogation née de la réalisation, en cours dans bon nombre de villes, de plantations denses : leur usage. Une densité ne serait-ce que de trois arbres au mètre carré ne permet pas l’accessibilité. Or si, demain, les citadins veulent pouvoir tirer pleinement bénéfice de ces arbres, il faut qu’ils puissent flâner ou se reposer sous leur ombrage.
Ce constat a aussi un impact sur le type de végétal approprié : il faut « planter petit car les jeunes sujets supportent mieux la transplantation et sont moins chers. Mais il faut aussi qu’ils soient assez développés pour que les usagers puissent profiter des bienfaits de l’arbre assez rapidement », estime Sylvain Delzon.
L’hyperdensité pourrait vite entraîner pour les villes un autre désagrément : le salissement. Dans ces bosquets fort serrés, les papiers gras et autres déchets seraient dès lors difficiles à gérer.
Enfin, Augustin Bonnardot, forestier, arboriste-conseil au CAUE 77 (voir page 34), souligne que les gestionnaires sont peu au fait des contraintes d’entretien que les futures forêts pourraient générer. Certains n’hésitent pas à vendre leurs projets avec une promesse de zéro entretien au bout de trois ans seulement, mais la réalité de terrain peut s’avérer différente, surtout si les plantations sont très denses, donnant des arbres peu développés en diamètre et donc peu aptes à résister à des coups de vent violents. Et la chute d’arbre dans une forêt peu fréquentée est bien moins dangereuse que dans un cœur de ville !
Essences locales et adaptation au futur climat
Enfin, puisqu’une forêt est censée durer, son implantation exacerbe la difficulté actuelle de savoir quels taxons choisir. Entre changement climatique et développement de ravageurs et maladies, le choix n’est pas simple. Les adeptes de Miyawaki ont la réponse : ils plantent une trentaine d’espèces locales, constituant ainsi un milieu favorable à une grande biodiversité. Personne ne s’oppose à cette vision mais il faut aussi se projeter dans l’avenir. « On est un peu passés du tout ou rien, du tout-exotique au tout-local, estime Sylvain Delzon. Aucune des deux options n’est vraiment bonne, il faut surtout diversifier les provenances. Si à Paris on plante du chêne pédonculé, il faut choisir des arbres issus de graines de l’Allier, du nord-est de la France et du Sud-Ouest pour avoir des origines et des génomes variés d’une même espèce. Le tout en favorisant les natives autant que faire se peut et en anticipant le changement climatique en apportant des touches d’essences plus méditerranéennes, du chêne vert ou du chêne- liège, par exemple. »
« Les arbres devront toujours résister au froid et aux gelées, mais aussi à des sécheresses de plus en plus longues (parfois deux à quatre mois) et répétées, ainsi qu’à des températures estivales très élevées, jusqu’à 45-50 °C », renchérit David Chevet, constatant que le milieu urbain accentue les nuisances (réverbération, accumulation de chaleur des bâtiments...). Pas certain que tous les projets aient intégré ces critères dans le choix de leur palette végétale, d’autant plus avec le manque de plants disponibles sur le marché.
Seul l’avenir pourra le dire, mais il est possible que, comme toujours à chaque nouvelle mode, le temps élimine vite les projets les moins bien conçus, plongeant sûrement dans le désarroi élus et citoyens qui se seront impliqués dans les plantations… Mais il ne faut pas s’y tromper : au-delà des projets pas assez réfléchis et d’idées parfois vendues trop cher, ceux qui plantent des forêts en ville sont dans le vrai et préparent un univers plus vivable pour demain.
Pascal FayollePour accéder à l'ensembles nos offres :